Interview sur la contrebande de civelles

C’est lorsque les températures et la luminosité baissent que la contrebande de civelles bat son plein. Ces jeunes anguilles font l’objet d’une demande massive, principalement en Asie, où environ 285 000 tonnes y sont consommées chaque année, selon une estimation de l’université japonaise Chuo. Sans surprise, les populations ont considérablement diminué ces dernières années. L’anguille européenne est classée «en danger d’extinction». Il y a dix ans, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) a lancé l’opération LAKE en vue de lutter contre le commerce illégal de cette espèce protégée. L’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) participe régulièrement aux actions organisées dans ce cadre.

22.12.2025, Simon Erny

Anja Mägli

Anja Mägli,
experte en coopération douanière et policière internationale

Pourquoi les civelles sont-elles victimes de contrebande?

Menacée d’extinction, l’anguille européenne est inscrite à l’annexe II de la Convention du 3 mars 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) depuis 2009. Une interdiction d’exportation s’applique en outre dans l’Union européenne. En Asie, notamment en Chine et au Japon, l’anguille est un mets très apprécié. Les jeunes poissons, appelés civelles, sont ainsi élevés et vendus avec des marges bénéficiaires élevées. Sur le marché noir, un kilo de civelles peut rapporter jusqu’à 6000 euros, soit bien plus que le caviar ou le cannabis. Aujourd’hui, des bandes organisées aux méthodes sophistiquées pilotent ce commerce illicite, avec à la clé d’énormes profits. En Suisse, cette activité est considérée comme un crime.

La coordination nécessaire à la lutte contre ces agissements a conduit à la création de l’opération LAKE il y a dix ans.

L’OFDF prend-il de nouveau part à cette opération ?

L’OFDF et l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires participent à l’opération LAKE depuis 2020. La décision de se joindre à ce réseau de coopération a été prise après des saisies d’envergure aux aéroports de Genève et de Zurich en 2019. À l’époque, des informations fournies par Europol avaient permis d’appréhender six mules asiatiques qui s’apprêtaient à faire passer illégalement plusieurs valises de civelles au Vietnam. Des observations et une perquisition ont permis de déterminer qu’une organisation criminelle avait mis en place à Genève une sorte de dépôt intermédiaire où étaient stockées les civelles avant leur acheminement ultérieur.

Glasaale im Koffer (Flughafen Zürich)
Contrebande de civelles à l’aéroport

Pourquoi l’opération a-t-elle toujours lieu en hiver?

Parce que ce sont principalement les civelles qui font l’objet de la contrebande et qu’elles passent de la mer ouverte aux eaux côtières européennes pendant les mois d’hiver dans le but de remonter les rivières. La contrebande de jeunes anguilles est bien plus lucrative que celle d’anguilles adultes, car il est possible d’en transporter beaucoup plus. Selon son contenu, une seule valise passée en contrebande peut valoir plusieurs centaines de milliers de francs. La saison de pêche dure de novembre à avril et vient donc de commencer.

Pourquoi ces dernières années l’OFDF n’a-t-il pratiquement plus effectué de saisies importantes?

Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, tant le modus operandi que les itinéraires sont constamment modifiés.
D’autre part, le phénomène est encore trop peu connu chez nous, sans doute aussi parce que nous ne sommes pas directement concernés par la pêche illégale comme le sont la France, l’Espagne ou le Portugal. Notre pays fait uniquement office de zone de transit.

À quel point la contrebande d’anguilles est-elle lucrative et par quels canaux passe-t-elle?

C’est un commerce extrêmement lucratif dont les revenus sont actuellement estimés à 400 millions d’euros par an.
En général, ce sont des ressortissants européens (portugais, français, espagnols) qui pêchent les civelles illégalement. Il y a peu de temps encore, la contrebande passait surtout par des mules dans le trafic aérien de l’Europe vers l’Asie. D’après Europol, elle s’effectue maintenant de plus en plus souvent dans le transport de fret aérien via des pays d’Afrique du Nord-Ouest.

La contrebande de civelles est-elle uniquement problématique du point de vue de la protection des espèces?

Non, la contrebande de civelles est également une source de revenus pour les réseaux criminels, à l’instar de la traite des êtres humains, du trafic de drogue ou du commerce illégal d’armes.

Qui se cache derrière ce commerce lucratif? Qui en profite?

Il n’y a pas une mafia de la civelle qui en contrôle le commerce. Il existe de nombreux réseaux mouvants. Heureusement, ces dernières années, l’opération LAKE a toujours réussi à mettre au jour au moins une partie de ces organisations.

L’opération LAKE d’Europol existe maintenant depuis dix ans. Qu’a-t-elle permis d’accomplir jusqu’à présent dans la lutte contre la contrebande de civelles?

En dix ans, les autorités des pays participants ont arrêté plus de 850 personnes et saisi plus de 100 tonnes de civelles. Bien que ces chiffres soient impressionnants, ils ne représentent qu’un aspect des actions coordonnées. Il est tout aussi important d’informer les États qui n’ont pas encore connaissance de ce phénomène et d’encourager les échanges entre les experts. En outre, une telle opération est l’occasion d’examiner les processus et les mécanismes de contrôle propres à chaque pays. Enfin, la couverture médiatique sensibilise à la fois le public et les décideurs politiques à ce problème.

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